Journal de la guerre, du siège de Paris et de la Commune (1870-1871)
par Agnès de Lacerda [1]

Guerre de la France contre la Prusse

18 Juillet 1870. Le trône d’Espagne étant vacant, le Roi Guillaume de Prusse voulut y placer un prince de Hohenzollern [2] ; la France ne voulant pas y consentir [3] déclara la guerre à la Prusse [4]. Les troupes furent rappelées d’Afrique ; la garde mobile organisée. L’enthousiasme était grand à Paris, on chantait la Marseillaise, les Français dans leur ivresse criaient « À Berlin » ; hélas on allait à la guerre comme à une fête, sans songer seulement que l’on pouvait être vaincu et sans penser à tous ceux qui resteraient sur le champ de bataille, car même la victoire fait verser bien des larmes, car elle ne peut être obtenue qu’au prix de bien des sacrifices. Dans leur présomption, les Français ont appelé leur armée Armée du Rhin.

28 juillet. L’Empereur part pour Metz, laissant l’Impératrice régente. Les Prussiens après avoir passé le pont de Kehl l’ont fait sauter, pour empêcher les Français de passer le Rhin.

6 août. Les Prussiens occupent les Français à Sarrebruck pour pouvoir avancer dans la France. Déjà à Paris on croyait à une victoire, partout on illuminait ; mais l’illusion ne fut pas de longue durée, le soir même on apprit que ce n’était qu’un stratagème des Prussiens.

9 août. L’armée française commandée par Mac Mahon [5] livre la grande bataille de Reichoffen [6], ce fut un horrible fracas, et malgré le courage des zouaves et des turcos l’on fut battu. Mac Mahon fut grièvement blessé ; complètement incapable de continuer la lutte. En sortant de Forbach, les Prussiens mirent impitoyablement le feu partout, même aux ambulances !

13 août. La grave blessure de Mac Mahon prive l’armée d’un de ses meilleurs chefs, Bazaine [7] est nommé commandant en chef de l’armée du Rhin.

18 août. Les Français se battirent avec un héroïque courage à Gravelotte [8]  ; mais le nombre l’emporta sur la valeur, ils se battaient un contre trois ; ils furent vaincus. Une des grandes fautes de Bazaine fut de ne pas assister à cette bataille. L’armée est bloquée dans Metz.

26 août. Les Prussiens avancent toujours ; l’armée ainsi que l’Empereur sont obligés de se réfugier à Sedan, petite ville de 10.000 âmes, sur la frontière belge.

2 septembre. L’Empereur ne voyant aucun moyen de sortir de Sedan envoie son épée au Roi de Prusse, qui lui fait répondre : « Ce n’est pas l’épée que je veux, c’est l’homme ». L’Empereur est conduit prisonnier à Cassel. On lui donne comme habitation le château de Wilhelmshöhe, où il est traité avec tous les honneurs dus à son rang. L’armée prisonnière au nombre de 90.000 hommes est envoyée dans des villes d’Allemagne. Quel désastre, un Empereur qui se rend : L’armée toujours battue, et c’est l’armée française si renommée pour sa valeur guerrière.

4 septembre. La nouvelle de da reddition de Sedan est connue aujourd’hui à Paris, c’est une consternation générale. On est indigné de la conduite de l’Empereur ; on proclame la République ; tout ce qui rappelle l’Empire est à bas, les Tuileries [9] sont pillés, on enlève la correspondance impériale ; à l’Hôtel de ville on brise les bustes de l’Empereur. L’Impératrice accompagnée de quelques amis fidèles est obligée de fuir dans un fiacre [10]. Toutes les rues sont remplies de monde, les boulevards retentissent des cris de Vive la République.

5 septembre. Dans la nuit on a voté [11] les membres d’un Gouvernement provisoire qui prendra le nom de Gouvernement de la Défense nationale. Jules Favre [12] a été nommé Président, Keratry préfet de police, Trochu [13] gouverneur de Paris.

7 septembre. De tous côtés arrivent des mobiles [14] de la province pour défendre Paris. Les Bretons sont habillés en toile grise, les Bourguignons en noir, il va falloir pourvoir à leur équipement, car ils ne sont pas assez chaudement vêtus pour la saison dans laquelle nous allons entrer. Ils marchent tous au milieu des rues, et ont plutôt l’air de bons paysans que de guerriers. Toute la journée on entend le clairon, les Champs-Élysées sont remplis de mobiles auxquels on apprend à faire l’exercice. Il est un peu tard, lorsque le moment du combat est presque arrivé d’apprendre le maniement des armes, mais enfin il vaut mieux tard que jamais, et il faut espérer que le courage suppléera au savoir.

12 septembre. On dit que les Prussiens sont bien près de Paris. Dans la prévision d’un long siège, le Gouvernement fait entrer beaucoup de vivres. Il y a des bestiaux dans les jardins des Tuileries, du Luxembourg, dans le parc Monceaux, le bois de Boulogne.

16 septembre. On se hâte de faire des provisions, les vivres renchérissent d’une manière étonnante.

17 septembre. le Roi Guillaume est installé au château de Versailles, il faut espérer que ce n’est pas pour longtemps. Les Prussiens donnent des coups de crosse sur les tableaux [15] représentant les victoires que Napoléon a remporté sur eux, après les avoir abîmés, et les retournent, pour ne pas que leur vue leur rappelle leurs défaites d’autrefois.

Siège de Paris

18 septembre. Hélas, voilà les portes de Paris fermées, et le siège qui commence. Qu’allons nous devenir ? Que de combats sanglants vont se livrer ! Allons-nous mourir par le feu ou par la faim ! Dieu va sans doute prendre enfin en pitié cette malheureuse France, et faire cesser le châtiment qui pèse si lourdement sur elle, car depuis le commencement de cette affreuse guerre nous n’avons eu qu’une longue suite de revers tandis que nos ennemis doivent être lassés des victoires ; le combat est trop inégal pour qu’il y ait encore de la gloire pour eux à nous vaincre. pourquoi la guerre ne peut-elle pas se terminer maintenant, cela épargnerait bien des désastres, car sans doute que d’un côté et d’autre il y aura beaucoup de sang versé. Les forts sont armés, les fortifications sont remplies d’hommes, on a fait tout ce que l’on a pu pour opposer une vive résistance. Les Prussiens devant Paris, cela ne semble pas possible, nous qui devions si vivement aller à Berlin (sur le siège de Paris l’ouvrage, sous ce titre, de F. Mounier, Cerf, 2021).

19 septembre. Nous avons entendu pour la première fois le canon ; il grondait très au loin il est vrai ; mais l’impression n’en a pas moins été bien pénible. Ce soir on a arrêté beaucoup de monde dans les cafés.

20 septembre. Partout s’organisent des ambulances [16], chacun autant par bon cœur que pour se protéger fait mettre le drapeau blanc à croix rouge à sa fenêtre. Il faut espérer que toutes ne serviront pas.

23 septembre. Après avoir subi le bombardement, la ville de Toul a été obligée de capituler.

28 septembre. Après une défense héroïque Strasbourg vient de capituler. En présence du manque de vivres et d’un acharné bombardement détruisant sans pitié tous les plus beaux monuments, qui incendiait des quartiers entiers, le vaillant général Ulrich [17] a été forcé d’ouvrir les portes de la ville. La population de Strasbourg est dans la désolation, les habitants disent qu’ils auraient bien vite oublié toutes leurs souffrances si leurs sacrifices avaient eu un meilleur résultat.

30 septembre. On voit passer beaucoup de canons et de munitions ; ce sont de bien tristes préparatifs que ceux de la guerre.

3 octobre. Les vivres commencent à devenir rares, partout s’établissent des cantines pour les pauvres, on tache d’aider le plus possible ceux qui sont dans le besoin.

10 octobre. Il y a eu plusieurs petits combats dans les environs de Paris mais sans résultat et sans importance.

21 octobre. Nous avons été au Point du jour, le combat était assez vif, on entendait gronder le canon, l’on voyait une épaisse fumée. De nombreuses voitures d’ambulance circulent et malheureusement ne paraissent que trop nécessaires. À Auteuil, nous avons vu des ponts levis ; tout autour des fortifications sont de larges fossés, la routes est hérissée de pics pour abîmer la cavalerie prussienne si elle entrait.

24 octobre. De 7 à 9 heures du soir, le ciel était tout illuminé par une aurore boréale, on croyait que c’était un feu, grand émoi dans le quartier, et probablement dans tout Paris.

27 octobre. Après un siège d’un mois et demi Metz a capitulé. Bazaine a été fait prisonnier avec toute son armée. Les vivres manquaient complètement, il n’y avait plus ni pain, ni pommes de terre, ni riz, ni sel, plus que le cheval, nourriture malsaine et insuffisante. la consternation est grande à Paris, l’on comptait beaucoup sur l’armée de Metz pour venir nous délivrer ; il n’y a maintenant plus d’espoir de ce côté-là. Le bruit court que Bazaine a trahi, peut-être est-on injuste à son égard, mais nous sommes vraiment si malheureux que l’on dirait qu’il y a quelque chose comme de la trahison [18].

31 octobre. Le Bourget qui était une très bonne protection a été pris par les Prussiens, la population est très mécontente. À 8 heures du soir, le rappel, la générale [19] bat dans tous les quartiers de Paris, on appelle la garde nationale. L’Hôtel de ville est pris par les ouvriers de Belleville commandés par Flourens [20]. Trochu et Jules Favre sont retenus prisonniers pendant quelques heures à l’Hôtel de ville. Les mobiles Bretons et la garde nationale les délivre, heureusement il n’y a pas eu de sang versé ! Plus que jamais on a besoin d’être bien uni, nous ne sommes déjà pas trop forts, que serait-ce si nous étions divisés.

3 novembre. Après les troubles du 31 octobre, on a résolu de faire des élections. Le Gouvernement de la Défense nationale a été maintenu. Jules Favre et Trochu sont présidents.

5 novembre. Jules Favre est parti pour Ferrières, afin d’avoir une entrevue avec Bismarck. L’entretien a été des plus douloureux pour le diplomate Français, et le ministre Prussien a posé des conditions si dures pour l’armistice qu’il n’a pu être accepté. Bismarck a parlé avec mépris de la population parisienne, disant que ce n’était qu’une populace à quoi Jules Favre a répondu : « Il n’y a pas de populace mais une population intelligente et libre ». Cette entrevue si pénible n’a eu aucun résultat, sinon de faire connaître les prétentions par trop audacieuses de la Prusse, et de nous faire voir qu’il n’y avait aucun bon sentiment à attendre de nos ennemis. Bismarck a dit que Strasbourg était comme la clef de la maison, et qu’il lui fallait l’Alsace. Jules Favre a répondu : « Vous n’aurez pas un pouce de notre territoire, pas une pierre de nos forteresses ».

6 novembre. Une maison de la rue Chauchat [21] a pris feu, on voit s’élever une horrible fumée, on appelle tout le monde pour faire la chaîne [22].

9 novembre. La police est réorganisée, les agents de la paix ont remplacé les sergents de ville, ils n’ont pas de moustache pour n’avoir aucune ressemblance avec leurs prédécesseurs. Ils portent une casquette, un long manteau avec un capuchon, sur la poitrine une rosette composée des trois couleurs nationales ; ils sont sans arme, et marchent toujours trois à trois.

11 novembre. Verdun a capitulé. La statue représentant la ville de Strasbourg est couverte de fleurs ; il ne se passe pas de jour sans que le nombre de bataillons de la garde nationale n’apportent des couronnes.

13 novembre. Il y a beaucoup de blessés, les ambulances malgré leur grand nombre, sont toutes utiles. Partout on fait de la charpie, des bandes, etc., quelle chose terrible que la guerre !

16 novembre. Le froid est très intense, on cite de nombreux cas de congélation, l’hiver sera très rigoureux.

20 novembre. Il n’y a plus de gaz dans les rues [24], il est remplacé par le pétrole, ce qui n’éclaire presque pas. Les magasins ferment à 7 heures [25]. Paris est horriblement triste.

21 novembre. On craint le bombardement, on prend des précautions contre les incendies. Dans toutes les cours on met du sable, à chaque étage des seaux d’eau ; tous ces préparatifs ne sont pas rassurants.

24 novembre. Chute de Thionville. Il n’y a presque plus de viande de bœuf. On donne des cartes à la mairie pour la boucherie, il faut faire par ce froid de longues queues [26] pour obtenir son insuffisante portion, cela est bien dur.

29 novembre. Il y a eu une grande sortie sous le commandement de Trochu et de Ducrot [27] qui a dit en partant : « Je rentrerai mort ou victorieux ». Mais sa marche a été arrêtée par la Marne qui avait eu une crue considérable pendant la nuit. Il s’est livré un violent combat à Châtillon. Les zouaves ont fui devant l’ennemi, et sont rentrés dans Paris, disant que leurs chefs les trahissaient ; mais on leur a répondu : « Ce sont vos cœurs qui vous ont trahi ». Le plateau de Châtillon a été pris par les Prussiens.

2 décembre. L’armée de la Loire, sous le commandement d’Aurelle de Paladines [28] livre un grand combat dans les environs d’Orléans [29] au corps de Frédéric-Charles et du grand duc de Mecklembourg. Ce fut dans cette journée que disparut presque en entier le bataillon des zouaves pontificaux, guidé par l’intrépide Charrette [30], qui trouva la mort sur le champ de bataille [31]. Après cette fâcheuse journée, Aurelle rentra en avant d’Orléans.

4 décembre. Pour sauver la ville d’Orléans d’un bombardement, Aurelle se voit obligé d’y laisser entrer l’ennemi. Après cette défaite le commandement de l’armée de la Loire est donnée à Bourbaki [32] et à Chanzy [33].

5 décembre. Nous avons été visiter une ambulance à Auteuil, établie dans la maison de monsieur de Pralin. Il y avait 70 blessés. L’un avait un doigt emporté, l’autre avait eu le poumon traversé par une balle, il était expirant. L’ambulance était très bien organisée et dirigée par un jeune prêtre très intelligent. À côté se trouve la maison de Molière, qui est bâtie en briques rouges, elle est petite et d’une apparence modeste. Il fait très froid, du Trocadéro on voit des obus éclater en l’air.

9 décembre. On commence à avoir des difficultés à se procurer les choses les plus indispensables, qui sont montées à des prix très élevés, dont voici un aperçu (en francs) :

une poule 40, un lapin 45, un chou 6, un œuf 2, une dinde 100, une livre de beurre 60, un boisseau de pommes de terre 40, un sac de charbon 60, une livre de fromage 10.

Que de misères ! Que de personnes qui ne peuvent se procurer le nécessaire. On fait tout pour soulager les malheureux, mais il y en a en si grand nombre !

12 décembre. Chute de Phalsbourg.

14 décembre. L’absence complète de nouvelles du dehors nous rend bien malheureux et vient encore ajouter à nos malheurs. On a organisé un service de ballon qui porte les lettres à l’étranger ; mais on ne pourra toujours pas en recevoir. Il y a aussi des pigeons voyageurs qui portent les dépêches du Gouvernement à Tours, et qui nous rapportent les réponses.

Chute de Montmédy [34].

15 décembre. Les bataillons de marche de la garde nationale sont organisés sous le commandement du général Clément Thomas [35]. Ils comprennent tous les jeunes gens non mariés de 25 à 35 ans. Nous en avons vu passer sous nos fenêtres, musique en tête, sac au dos, fusil en bandoulière, revêtus de chaudes capotes bleues ; ils allaient aux forts. Il s’est aussi formé de tous les étrangers un corps sous le commandement d’un Belge, le général Van der Merk ; il a pris le nom des Amis de la France. Ils ont un costume sévère tout marron.

18 décembre. Aux Champs-Élysées nous avons vu passer une grande revue de la garde nationale par le général Clément Thomas, qui a l’air très respectable avec sa barbe blanche.

20 décembre. On a de plus en plus de peine à trouver de quoi manger, il n’y a plus de bœuf, on n’a que du cheval, et encore 30 grammes par personne pour 3 jours ! On dit que l’on mange des chats, des chiens, des rats, des éléphants. J’ai vu une boucherie canine dans le faubourg Saint-Germain. Vraiment on commence à craindre la famine.

21 décembre. Il fait un froid de 20 degrés au-dessous de zéro, pauvres soldats, ils ont fait une grande sortie, tant souffrir, pour n’avoir aucun résultat. La Seine est gelée.

24 décembre. Il y a à Paris un riche Anglais nommé Richard Wallace [36] dont la charité est inépuisable ; il a organisé une magnifique ambulance de 100 lits, et il vient de donner 500.000 francs pour les pauvres. La population parisienne est émue de tant de bonté, on vient de lui offrir les deux derniers camélias de la collection. Son nom est dans toutes les bouches, il est béni par tous.

25 décembre. On dit que sur les champs de bataille les pauvres soldats emportent les chevaux morts pour les manger. Triste extrémité ! On réquisitionne les chevaux d’omnibus et de voitures pour les faire tuer. Qu’allons-nous devenir si la province ne vient pas aider notre armée de Paris ?

27 décembre. Les Français ont été surpris au plateau d’Avron [37], ils ont été obligé de l’abandonner et ont ainsi perdu une belle position.

28 décembre. Les canons Krupps sont installés, ils ont commencé à bombarder les forts, c’est effrayant à entendre.

31 décembre. On construit des barricades pour entraver l’entrée des Prussiens. Rochefort [38] a été nommé chef de la commission des barricades. Du côté des fortifications on a mis des planches recouvertes légèrement de terre, pour ne pas laisser voir des pointes aiguës qui doivent abîmer l’infanterie Prussienne.

1871

1er janvier. pour les étrennes des Français on a canonné toute la matinée sans discontinuer, année qui commence sous de biens mauvais auspices ; que nous réserve-t-elle ? On a donné un supplément à la boucherie, un peu de haricots et d’huile ; magnifique cadeau pour les pauvres Parisiens affamés !

5 janvier. Les obus tombent dans Paris sur la rive gauche ; la lutte je crois touche à sa fin, mais comment se terminera-t-elle ?

6 janvier. Trochu a fait une proclamation disant que « Le Gouverneur de Paris ne capitulera pas ».

9 janvier. Les obus tombent dans le jardin du Luxembourg, boulevard du Montparnasse et sur toute la rive gauche de la Seine. Toutes les personnes du faubourg Saint-Germain sont obligées de se réfugier dans nos quartiers. Il y a déjà eu de trop nombreuses victimes. Dans une institution de jeunes gens de la rue de Vaugirard 5 enfants sont morts d’éclats d’obus.

12 janvier. Nous avons été dans le faubourg Saint-Germain, les obus ont causé beaucoup de dégâts. Il en est tombé dans l’église Saint-Sulpice à la chapelle de la sainte Vierge. C’est un bien triste spectacle que de voir tous les pauvres traînant leur petit mobilier pour déménager et sauver le peu qu’ils ont. Il est tombé un obus près de nous, nous nous sauvons de peur de voir de près les effets foudroyants de ces affreux engins.

13 janvier. Le pain est réquisitionné, on n’en donnera plus que 300 grammes par personne.

14 janvier. Il y a eu une sortie, suivie comme toujours d’une prompte rentrée en bon ordre, c’est désespérant !

16 janvier. C’est aujourd’hui la saint Guillaume ; on disait que les Prussiens voulaient entrer aujourd’hui dans Paris, on craint que cela ne soit très prochainement, car il y a déjà deux forts d’ébréchés. Il y a une conférence à Londres, on espère qu’on s’y occupera de nous, et que peut-être pourrons-nous obtenir cette paix tant désirée par tous. Jules Favre ne veut pas s’y rendre disant qu’il ne veut pas quitter Paris dans la triste situation où elle se trouve.

17 janvier. Le Roi Guillaume a été proclamé Empereur ! Il y a eu de grandes fêtes à Versailles ; on a joué les grandes eaux, fait de la musique militaire, donné un grand dîner, tandis que les pauvres Parisiens se meurent ou tout au moins souffrent de la faim !

18 janvier. On dit que l’on prépare une grande sortie, il y a un grand mouvement de troupes, les gardes nationaux de marche partent, pour la première fois ils vont prendre part à l’action.

19 janvier. L’affaire conduite par le général Trochu a été bien menée, nos troupes occupent Montretout [39], on dit déjà que l’on marche vers Versailles, l’esprit est prompt à croire ce qu’il désire.

20 janvier. L’on s’est trop réjoui du petit succès d’hier, la déception est bien amère. Nos troupes ont été surprises à Montretout qui a été repris par les Prussiens. Les gardes nationaux se sont bien battus au parc de Buzenval [40], il en est resté beaucoup qui sont tombés en héros. Entre autre un jeune peintre d’un grand avenir Regnault [41], dont on avait admiré la Salomé à la dernière exposition de peinture. On en veut beaucoup à Trochu, la population est exaspérée.

21 janvier. Les nouvelles de la province sont mauvaises, l’armée de la Loire a été battue, elle a eu beaucoup de blessés et 10.000 prisonniers.

22 janvier. Trochu est obligé de donner sa démission, mais il reste président de la République [42]. Il est remplacé par Vinoy [43]. Toute la matinée on entend le rappel, la générale, les rues sont remplies de gardes nationaux. À 4 heures l’Hôtel de ville est encore envahi par les Bellevillois, les tristes événements du 31 octobre se reproduisent avec encore plus de gravité. On veut proclamer la déchéance du Gouvernement. Les mobiles Bretons gardaient l’Hôtel de ville ; un coup de feu, partit d’en bas, oblige les mobiles de tirer aussi. Il y a eu 5 morts et 60 blessés. Lapia est tué. Flourens et Delescluze [44] emmenés prisonniers au fort de Vincennes. Cependant vers le soir tout se calme un peu ; néanmoins les gardes nationaux sont toute la nuit sur pieds.

23 janvier. Ordre est donné de faire fermer les clubs qui sont de mauvaises réunions, où l’on excite les esprits au mal. Tout devient de plus en plus difficile, le pain est complètement noir, lourd et mastoc, composé de toutes sortes de choses, riz, avoine, paille, graine de lin, on assure même qu’il entre dans sa composition des os des morts.

25 janvier. Tout le monde dit que l’on va être obligé de capituler. Jules Favre est parti pour Versailles pour tacher de s’entendre avec Bismarck.

26 janvier. On apprend la défaite de Chanzy [45]. Il a eu 50.000 fuyards et 9.000 prisonniers. Faidherbe [46] a aussi été battu dans le nord [47]. C’est désespérant ! Tout le monde dit que Gambetta a trahi, et qu’il s’est sauvé en Espagne. Les armées de province ont été anéanties, il ne nous reste plus rien à espérer.

27 janvier. N’ayant plus que pour quatre jours de vivres, Jules Favre a conclu un armistice pour pouvoir nommer [48] une assemblée qui doit voter les conditions de la paix. Voici les conditions de l’armistice. Les Français désarmeront tous les forts, qui seront occupés par les Prussien ; les gardes nationaux garderont leurs armes. Paris paiera deux millions. Les chemins de fer seront réorganisés et les vivres rentreront.

28 janvier. L’amiral Saisset [49], commandant d’un fort, a dit : « Je n’ai jamais rendu un vaisseau, je ne rendrai pas un fort ». Un jeune capitaine de vaisseau, pour éviter la honte de rendre son fort, s’est brûlé la cervelle. Les marins sont désolés, on les voit rentrer dans Paris, en pleurant comme des enfants.

29 janvier. On craint une révolution, on est mécontent de l’armistice, il y a des personnes qui auraient voulu la lutte à outrance [50], celles-là ne pensaient pas à la faim, car c’était là notre ennemi le plus terrible. Le comte de Paris [51] est venu à Versailles.

30 janvier. Le courrier arrive, on peut écrire ; mais il faut laisser les lettres ouvertes. Le peuple est exaspéré de la cherté des vivres qui se soutient toujours On a envahi les halles, volé les légumes, insulté les marchandes, on a été obligé de les faire fermer.

31 janvier. Le bruit court que Bourbaki, en apprenant la capitulation de Paris se serait fait brûler la cervelle [52]. Toute la province est déconcertée.

2 février. Les militaires rentrent dans Paris, les magasins rouvrent, les rues reprennent un peu d’animation. Cela repose de ne plus entendre le canon. Jules Favre a donné sa démission comme ministre des affaires étrangères, il est remplacé par Hérold. Les mobiles logent encore une fois chez les bourgeois.

4 février. On prévoit déjà la prochaine entrée des Prussiens, cela attriste tout le monde, quelle humiliation ! Que ne peut-on nous l’épargner.

8 février. On a augmenté à 400 grammes la ration de pain, qui est un peu plus blanc. On vote aujourd’hui les députés [53] qui doivent composer l’assemblée qui siégera à Bordeaux.

12 février. Jules Favre est allé à Versailles [54], où il a obtenu le prolongement de l’armistice jusqu’au 1er mars, et l’autorisation d’envoyer des lettres cachetées.

21 février. On a annoncé l’entrée des Prussiens pour le 1er mars, on a recommandé à la population parisienne de la modération.

26 février. On craint qu’il n’arrive quelque accident à l’entrée des Prussiens, ce qui nous coûterait cher, il faut espérer que chacun aura assez de sang froid pour maintenir son indignation.

1er mars. Jour de tristesse et de deuil. À 5 heures du matin les Prussiens sont entrés, la garde impériale a occupé les Champs-Élysées. L’Empereur Guillaume doit déjeuner à l’Élysée. Les Prussiens ne doivent occuper que l’espace compris entre Passy et le faubourg Saint-Honoré. Partout on fait le vide autour d’eux. Paris est mort, ils n’en peuvent voir que l’ombre. Toutes les persiennes sont fermées ; à plusieurs fenêtres on trouve le drapeau noir, les statues de la place de la Concorde sont voilées de noir, les voitures ne circulent pas, les magasins sont fermés, les journaux suspendus. On dirait une ville abandonnée, triste triomphe qu’une telle entrée dans la capitale de la France.

3 mars. Enfin nous sommes débarrassés de nos ennemis ; ils ont quitté la ville musique en tête, insultant la douleur des vaincus. Mais les Parisiens ont été grands dans leur malheur, et les Prussiens, enivrés par leur victoire, paieront peut-être un jour bien cher leur insultant orgueil. Les Prussiens ont dû emporter un beau souvenir du patriotisme parisien.

4 mars. Les conditions de la paix sont la cession de l’Alsace et de la Lorraine, Belfort excepté, une indemnité de 5 milliards à payer, et la garnison de Paris ne doit pas s’élever à plus de 40.000 hommes. La Prusse abuse de sa victoire, elle n’a pas de modération, et celui qui n’a pas de modération doit infailliblement tomber.

5 mars. L’esprit général est surexcité, il y a eu une manifestation à la colonne de Juillet à la Bastille.

9 mars. Nous sommes allés à Saint-Cloud. On a aucune idée du spectacle affreux qui s’offre au regard. Le château n’est plus qu’une ruine, il a été brûlé au pétrole [55]. Les rues sont encombrées de décombres, il n’y a pas une maison debout, les dégâts sont irréparables, les pertes incalculables. Le petit village de Garches a aussi bien souffert, l’église est tout à fait détruite, sur un pan de mur qui restait d’une maison on voyait encore suspendu un petit tableau de 1re communion, échappé comme par miracle aux flammes. Nous avons trouvé dans le parc de Buzenval des cartouches, on voit qu’il y a eu là un violent combat. Ça et là dans la campagne on rencontrait des tombes isolées, dont la place n’était marquée que par une simple croix de bois. Le pont de Saint-Cloud étant détruit nous avons été obligés de passer d’une rive à l’autre en bateau. En débarquant nous avons vu des Prussiens qui montaient la garde. Ils étaient petits, néanmoins ayant une assez bonne apparence. Près du parc, a passé un peu de cavalerie qui était très bien. C’étaient de beaux hommes montés sur de magnifiques chevaux.

14 mars. Toute la nuit le clairon et la trompette se sont fait entendre. Il y a eu une révolution à Belleville ; on a dit que l’on a assassiné deux gardiens de la paix. Un monsieur se promenant du côté du château d’eau a été reconnu pour un ancien sergent de ville, aussitôt la foule s’est jetée sur lui, disant : « À bas le mouchard ». On l’a vu traîné par les cheveux dont les poignées blanches restaient dans la main de l’assassin. Enfin, on a pu le soustraire à la fureur du peuple, mais son état est désespéré. Qu’allons-nous devenir si on ne réprime pas promptement ces excès.

16 mars. Mac-Mahon est arrivé à Paris, on dit que les gardes nationaux ne veulent pas rendre les canons de Montmartre et que l’on sera obligé de leur prendre de force, ce qui pourrait amener un conflit fâcheux.

Commune

18 mars. Dans la nuit du 17 au 18, grande rumeur, le tambour bat, il y a un grand mouvement de gardes nationaux. À 3 heures le général Vinoy est fait prisonnier par les gens de Montmartre ainsi que 100 gendarmes. Ils avaient été pour prendre les canons qui étaient gardés par les gardes nationaux ; le 88ème de ligne [56] met la crosse en l’air et fraternise avec les fédérés [57], disant qu’ils ne veulent pas tirer sur leurs frères. À 6 heures, grand émoi dans le quartier, tout le monde se précipite aux fenêtres. C’étaient les insurgés de Montmartre et de Belleville qui allaient s’emparer de l’Hôtel de ville. Ils étaient très nombreux et criaient : « Vive la République, à bas les traîtres ». Pendant ce temps, les généraux Clément Thomas et Lecomte [58] passaient en bourgeois [59] place Pigalle, lorsqu’ils ont été reconnus et arrêtés ; emmenés à Montmartre, ils furent lâchement assassinés. À 8 heures, les fédérés sont maîtres de l’Hôtel de ville, et décrètent des élections communales pour le 22, la commune est prochaine.

19 mars. Partout on a remplacé le drapeau tricolore par le drapeau rouge si effrayant. La majorité de la population est consternée, on craint ce gouvernement qui commence par des assassinats ; et qui est composé de toute la lie du peuple, car il faut voir quelles figures ont tous ces gens-là. Les chefs sont inconnus, on voit beaucoup de noms d’étrangers, qui viennent occuper les premières places.

22 mars. Les Prussiens célèbrent une de leur fête, et ils font toute la journée tirer le canon, ils trouvent donc qu’ils ne l’ont pas encore assez entendu ! Les bourgeois se sont réunis sans armes pour faire une manifestation pacifique, ils marchaient portant une bannière qui portait ces mots : « Vive l’Assemblée nationale ». Arrivés à la hauteur de la rue de la Paix, ils se rencontrèrent avec des bataillons armés de la garde nationale, auxquels ils firent savoir qu’ils venaient pour tâcher d’obtenir une réconciliation, mais ceux-ci répondirent par des coups de fusil. Il y a eu 20 victimes, parmi lesquelles des morts.

24 mars. Toutes les mairies sont au pouvoir des fédérés, les anciens maires ont donné leur démission, et sont remplacés par d’autres, nommés par la commune. On fait beaucoup de barricades. Tous ces événements effraient, et beaucoup de monde part. Paris a un aspect triste, on ne voit que des personnes mal habillées, on n’ose pas parler dans les rues, la terreur règne partout.

28 mars. Des perquisitions ayant été faites chez M. Ranpont [61], il a été obligé de s’enfuir à Versailles avec son personnel. Il a été remplacé par le citoyen Thiez.

31 mars. La garde nationale a dissous la ligne. On voit beaucoup de faux marins. La Commune a pris un décret permettant de quitter son logement sans payer son terme. Aussi voit-on beaucoup de voitures de déménagements, il y a des personnes qui profitent de cette injustice. La province organise des corps d’armée pour venir au secours de l’Assemblée de Versailles.

1er avril. La première bataille est engagée. L’armée était sous le commandement de Ducrot.

2 avril. Il y a eu une grande revue des gardes nationaux aux champs-Élysées. La Commune est contre les riches et contre la religion. On parle de la confiscation des biens du clergé.

3 avril. On entend le canon comme du temps des Prussiens. Nous sommes vraiment par trop malheureux ; à peine avons-nous fini la guerre avec l’étranger que, sous les yeux mêmes de nos ennemis, nous engageons une lutte fratricide. Un grand combat a eu lieu ; les Versaillais [62] ont fait 1.200 prisonniers. C’était le général Bergeret [63] qui était à la tête des fédérés.

4 avril. Un général de la Commune nommé Duval [64] et Flourens ont été tués par le capitaine Desmarest [65] ; il y a encore eu 1.100 prisonniers.

5 avril. Les chemins de fer ont été coupés, les portes fermées, c’est un second siège qui commence. La Commune a supprimé six journaux. Les fédérés, irrités de leurs défaites, prennent des otages dans le haut clergé. Ils ont arrêté Mgr Darboy [66], archevêque de Paris, M. Deguerry curé de la Madeleine, M. Surat. La consternation est partout, on vit dans la crainte, on est indigné ; mais on n’ose rien dire. Lorsque l’archevêque a comparu devant ses juges, il leur disait : « Mes enfants », à quoi ils ont répondu : « Nous ne sommes pas vos enfants, mais des magistrats ».

6 avril. Les gardes nationaux ont été battus à Courbevoie, il y a eu des canons de pris et beaucoup de morts du côté des fédérés ; enfin ils ont pris un décret ordonnant à tous les jeunes gens de 19 à 35 ans de marcher. On lit dans les rues des affiches épouvantables, disant qu’il faut piller les églises, assassiner les prêtres.

9 avril. La Commune ne se contente pas d’afficher des proclamations sanguinaires, elle les met à exécution. On a arrêté 200 prêtres, fait fermer plusieurs églises, on a de la peine à trouver une messe.

10 avril. Les Versaillais avancent, ils sont à Neuilly ; les troupes se battent avec beaucoup d’entrain. À Paris, tous les jeunes gens se cachent ; partout s’élèvent de formidables barricades ; au coin de la place de la Concorde et de la rue de Castiglione, c’est une vraie forteresse ; on y travaille avec un acharnement qui tient de la rage.

12 avril. Cette nuit à 9 heures [67] les Versaillais ont été repoussés au pont de Neuilly, le combat est très fort de ce côté-là. Les pauvres habitants sont obligés de se réfugier dans les caves. On a nommé Dombrovski [68] général en chef de Paris.

14 avril. Le canon gronde sans discontinuer. La lutte se prolonge beaucoup plus longtemps que l’on ne le pensait.

15 avril. On a affiché un plan des barricades qui dit qu’elles devront s’élever à 7 mètres de haut sur 4 de large. Cela coûtera sans doute beaucoup de sang pour s’en emparer, et prolongera la défense des insurgés ; mais avec le canon de quoi ne viendrait-on pas à bout.

16 avril. Notre Dame de Lorette [69] est occupée militairement, le drapeau rouge y flotte, l’un des vicaires, M. Sabbatier, a été arrêté et conduit à Mazas [70]. Les prêtres, habillés en bourgeois, se sauvent de Paris et vont chercher un refuge au milieu des Prussiens, près desquels ils sont plus en sûreté qu’avec les communeux [71], qui ne respectent rien.

17 avril. On a pillé la maison de M. Thiers, on a volé son argenterie et emporté beaucoup d’objets. La foule qui stationnait à la place Saint-Georges proférait des injures contre le chef du pouvoir exécutif, la voix des femmes surtout dominait, et elles ne le cédaient pas aux méchancetés des hommes.

20 avril. Les Versaillais se sont emparés du château de Bécon [72] ; des obus tombent aux Ternes.

21 avril. On annonce l’arrivée de 90.000 hommes à Versailles ; il a encore été fait 50 prisonniers aux fédérés.

24 avril. Un armistice a été accordé pour trois jours, en faveur des habitants de Neuilly, ils occuperont les appartements vacants qui sont mis à leur disposition par la Commune.

27 avril. La lutte a recommencé plus vive que jamais. Le dôme de l’arc de triomphe [73] a reçu des projectiles. Les Versaillais ont pris des canons et 25 drapeaux qu’ils ont apporté à Thiers, la brave armée a été acclamée et encouragée à poursuivre jusqu’au bout sa triste tâche.

28 avril. Les ouvriers boulangers ne veulent plus travailler la nuit. La Commune, prompte à satisfaire les désirs même injustes du peuple, a décrété, qu’à partir du 1er mai, le travail de nuit est supprimé, les boulangers qui feront travailler la nuit auront une amende de 50 francs, et leur pain sera saisi pour être distribué aux pauvres. Ainsi donc la population parisienne, après avoir été condamnée à manger du pain noir, l’est maintenant à manger du pain dur.

29 avril. Les francs maçons se sont réunis pour obtenir une réconciliation ; ils se sont promenés processionnellement sur les boulevards, ont été très bien reçus des communeux mais n’ont rien pu en obtenir.

30 avril. Les forts de Montrouge et d’Issy sont muets. On dit que ce dernier a été pris par les Versaillais après une trahison du citoyen Gallien qui a été arrêté par les communeux.

1er mai. Les fédérés, furieux de leurs défaites, s’en prennent à leurs généraux. Le général Cluseret [74], accusé de trahison, a été fait prisonnier et remplacé par Rossel [75]. Nous avons été à Saint-Denis, où il y avait autant de Prussiens que de pavés. Nous avons vu l’exercice et la paye qui se font avec beaucoup d’ordre. La garde impériale est composée de beaux hommes, mais aussi faut-il dire que c’est l’élite de l’armée Allemande, elle est recrutée surtout dans la noblesse pauvre. Quand nous sommes rentrés à Paris, et que nous avons vu nos fédérés, quelle différence !

6 mai. Les églises sont transformées en clubs, Saint-Eustache, Saint-Nicolas des champs, ont tous les soirs des séances. À la Trinité, ce n’est un club que de femmes, qui montent en chaire pour dire des horreurs, le massacre des prêtres et le pillage des riches.

8 mai. On dit que Neuilly est en feu ; avoir été épargné par les Prussiens pour ne pas l’être par les Français, c’est encore plus terrible !

9 mai. M. Rossel a donné sa démission, disant qu’il ne pouvait pas commander des troupes indisciplinées, il a été remplacé par le citoyen Delescluze, un bonhomme qui n’a jamais porté un fusil, et qui est nommé ministre de la guerre.

11 mai. La paix est signée [76], les forts de Paris vont être promptement évacués, Bismarck a promis de renvoyer les prisonniers. Les Allemands occuperont Belfort, Longwy et Nancy jusqu’à ce que les conditions de la paix soient rigoureusement remplies.

13 mai. Au bout de chaque rue il y avait un piquet de gardes nationaux chargé d’arrêter les jeunes gens qui s’empressaient de montrer n’importe quel passeport, car les communeux ne sachant pas lire étaient forcément peu sévères.

14 mai. La rue Le Peletier était remplie de gardes nationaux, l’opéra était cerné, il s’agissait d’arrêter Monsieur Perrin, dont le crime était de s’être refusé à prêter sa salle pour y donner un concert au profit des communeux.

15 mai. Le canon de Montmartre gronde pour la première fois. Tous les jours il y a des journaux de supprimés, il n’y a que les mauvais d’autorisés comme Le Mot d’ordre, le Père Duchêne, Le Cri du peuple, Le Vengeur.

16 mai. La colonne Vendôme est à bas. Elle est tombée à 6 heures, sur le lit de fumier qui avait été préparé pour la recevoir. Le choc n’a pas été aussi violent que l’on ne le pensait. Toutes les bandes de papier collées sur les fenêtres, par précaution, n’ont servi à rien. Voici donc l’œuvre de destruction de ces bandits [77] , qui hélas commence, il faut espérer qu’on les arrêtera.

17 mai. Les Versaillais sont entrés jusqu’à la porte Maillot qui est complètement détruite, on croit qu’ils entreront pendant la nuit. Les communeux ont pillé Notre-Dame des Victoires, et y ont fait toutes sortes de profanations. Après des crimes aussi horribles, n’avons-nous pas à craindre que la vengeance de Dieu ne tombe sur cette ville si coupable.

18 mai. Un incendie a fait éclater la poudrière Rapp, il y a eu de nombreuses victimes.

19 mai. Les Versaillais ont été repoussés par trois fois dans le bois de boulogne. Il y a eu encore 9 journaux de supprimés, il ne reste plus que ceux de la commune.

Semaine infernale

22 mai. Grande animation dans les rues ; toutes les commères du quartier sont sur leurs portes, on dit que les Versaillais sont entrés cette nuit par l’Arc de triomphe. On voit des gardes nationaux qui reviennent du combat, sales, abattus, on les entoure, on les questionne, ils disent qu’ils ont été vendus, ils sont découragés. Tous les magasins se ferment, les voitures, les omnibus ne marchent pas, les rues sont désertes, partout on travaille aux barricades qui s’élèvent avec une étonnante rapidité. À midi les Versaillais sont à la Madeleine, ils attaquent les barricades avec le canon, les balles et les boulets tombent sur les boulevards. Un capitaine de garde nationale passe dans notre rue disant : « Citoyens, fermez vos fenêtres », « Sentinelle prenez garde à vous ». Le canon gronde de très près, les obus sifflent sur la maison.

23 mai. À 9 heures les Versaillais se sont emparés des Batignolles et de Montmartre ; on aperçoit une épaisse fumée qui sort des buttes. On voit passer beaucoup de brancardiers et de brancardières qui portent des blessés. À 3 heures [78] , la fusillade et la canonnade redoublent, l’heure de la délivrance approche, le combat est terrible. Tout à coup on aperçoit des pantalons rouges [79] qui traversent la barricade, les gardes nationaux montent dans les maisons des coins de rue et tirent des croisées sur les pauvres Ducrot; toutes les vitres se brisent, la rue est éclairée par la fusillade, les maisons sont criblées de balles. Nous ne savons où nous réfugier. Enfin à 7 heures la ligne [80] s’empare de la barricade Drouot et de la mairie. De tous côtés accourent des lignards [81] , qui sont reçus par des cris de joie et d’allégresse, il y a du monde à toutes les fenêtres, on agite des mouchoirs, nous sommes délivrés ! C’est le 55e, ayant à sa tête le général Douay, qui nous a sauvés ! Notre rue est remplie de caissons d’artillerie ; les pauvres lignards harassés de fatigue se couchent sous l’opéra ; on remarque l’activité des marins, qui sont toujours sur pied. Les bourgeois descendent pour offrir à boire et à manger, les bons cœurs se voient, mais les soldats ont reçu l’ordre de ne pas se mettre trop en rapport avec les Parisiens et de s’en défier, ce qu’ils observent rigoureusement. La rue, si déserte tout à l’heure, est remplie de monde, on regarde avec effroi les dégâts causés par le combat de tout à l’heure, on arrache avec rage les affiches de la commune. Pour nous la lutte est terminée, cependant la canonnade continue avec violence dans le rue La Fayette où il y a beaucoup de barricades ; les obus sifflent, le combat sera très violent, car les fédérés se renforcent toujours derrière leurs barricades.

24 mai. On entend distinctement la fusillade et la canonnade. À 2 heures [82] il y a eu un grand défilé d’artillerie et de cavalerie, qui descendait de Montmartre pour aller renforcer ceux qui luttent. La commune dans son désespoir a affiché une affreuse proclamation disant qu’ils brûleraient Paris plutôt que la rendre. Des Buttes Chaumont ils lancent des obus sur nous, qui sifflent de tous côtés, la terreur est générale, on court de chambre en chambre à chaque sifflement. À 5 heures et demi nous entendons un fracas de vitres cassées, c’est un obus qui est tombé au 29 ; à la maison touchant la nôtre, il y a eu une dame grièvement blessée. À 8 heures on entend des coups de canon épouvantables, on croyait que tout Paris allait sauter, la maison tremblait ; nous sommes descendus à l’entresol, où l’on entendait moins. Nous avons été un peu rassurés en apprenant que c’étaient des grosses pièces placées rue Drouot tirant sur la porte Saint-Martin qui faisaient tant de bruit. À 10 heures, le canon se calme un peu, nous remontons ; mais quel n’est pas notre effroi en voyant le ciel tout rouge, il n’y a plus de doute que les communeux ont mis à exécution leur affreux projet de mettre le feu ; mais où est-il ? On n’en sait rien, l’incendie paraît se produire sur plusieurs points. Dans cette cruelle attitude nous attendions avec impatience le lendemain pour savoir la vérité, car quelque dure qu’elle puisse être, elle est toujours préférable à l’incertitude. La nuit nous paraît d’une longueur insupportable, les obus sifflent toujours, à 4 heures il en tombe un sur la maison en face de nous qui heureusement ne blesse personne.

25 mai. Les formidables coups de canon d’hier se font encore entendre, mais les obus sifflent moins. Nous savons maintenant ce qui illuminait ainsi la ville et ce qui nous a causé tant de terreur. Les insurgés ont mis le feu au pétrole au château du Palais-Royal, aux Tuileries, à l’Hôtel de ville, au théâtre de la porte Saint-Martin. L’indignation est à son comble contre ces incendiaires, on n’a plus aucune pitié pour ceux qui ne craignent pas de brûler nos monuments. De tous côtés on voit des parcelles de papier brûlés provenant des incendies. Que de désastres ! Que de ruines ! La place de la Bourse est occupée par les Versaillais, il y a une centaine de mitrailleuses de tous modèles pris sur les insurgés. On fait beaucoup d’arrestations, il a passé 16 femmes prises les armes à la main, on était sans pitiés, on criait : « À bas la Commune, à bas les incendiaires, fusillez-les ! ». Les messieurs tiraient leur chapeau devant la ligne, disant : « Vive l’ordre ! ». Les femmes sont encore plus méchantes que les hommes, on dit que l’on en a vu beaucoup jetant du pétrole dans les caves [83] . Il y a eu 40 hommes du 95e de ligne qui ont été empoisonnés en buvant de l’eau de vie que leur donnaient des femmes du marché Saint-Honoré. On raconte de ces traits qui font frémir. Une jeune fille de 15 ans présente une lettre à un officier, et pendant que celui-ci en prend connaissance, elle le tue. Le canon gronde toujours, on attaque la Villette. L’après-midi est un peu plus calme, la rue reprend une animation qu’on ne lui avait pas vue depuis longtemps. Les voitures circulent, il y a beaucoup de curieux pour voir les dégâts causés par les obus. Notre mairie est déjà bien réorganisée, la bonne garde nationale fait la police de notre quartier, chaque garde porte au bras un brassard tricolore. On commence à poser de bonnes affiches. On voit dans les rues des hommes en blouse, cela fait plaisir, car beaucoup avaient quitté cet habit de travailleur pour endosser la vareuses du paresseux, trouvant plus commode d’être payés pour ne rien faire. Les communeux, pour éviter les poursuites, se hâtent de rentrer chez eux pour quitter leurs uniformes, ils n’osent pas aller rendre leurs fusils à la mairie, ils les déposent dans les rues ainsi que leurs képis et leurs vareuses. Quel gaspillage ! Que cela coûte d’argent à la France ! Thiers est venu à Paris. Lorsqu’il a raconté à l’assemblée les désastres qu’il avait vus, les monuments en ruines, il n’a pu retenir ses larmes. À 6 heures du soir on pose une affiche ordonnant de boucher tous les soupiraux, parce que les pétroleuses veulent jeter des bombes à pétrole dans les caves. Chacun se hâte d’exécuter cet ordre, car on craint tout des communaux. On oblige les femmes à marcher au milieu des rues pour éviter tout accident, on ne saurait trop se défier de ces monstres, qui n’ont de femme que le nom. On fait toujours beaucoup d’arrestations d’hommes, de femmes et de gamins de 12 à 14 ans. Sur le boulevard on a pris une vieille femme qui avait dans sa poche 180 mètres de mèches incendiaires. une jeune femme ayant un enfant sur son bras gauche, tire sa main droite sur un officier et le tue.

26 mai. La ligne occupe depuis ce matin Ménilmontant et le Père-Lachaise. On dit que les communeux ont commis de nombreux massacres à la prison de Mazas ; mais que l’archevêque de Paris et le curé de la Madeleine n’ont pas été fusillés mais transférés à la Roquette. Une fumée noire, épaisse, sinistre s’élève dans les airs, on dit que c’est le Grenier d’abondance qui brûle. D’un autre côté, la rue Royale, de la rue du faubourg Saint-Honoré à la place de la Concorde, est entièrement démolie. Toutes les maisons brûlent au pétrole. À 8 heures du matin, un obus tombe encore dans notre rue, et vient apporter l’épouvante dans le quartier. On a arrêté 300 femmes à Montmartre ; en passant devant l’église de la Trinité, l’officier qui les conduisait les a forcées à se mettre toutes à genoux et à 9 heures du soir la rue est encore une fois éclairée par un feu effrayant ; ce sont les docks de la Villette qui brûlent. Les Buttes Chaumont ne sont pas encore prises, les fédérés opposent une résistance désespérée.

27 mai. Le canon gronde toujours avec violence. Montmartre tire par batteries, ce qui fait un vacarme épouvantable. On dit qu’il tombe beaucoup de fédérés ; mais ceux qui restent n’en continuent pas moins la lutte, ils ne veulent pas se rendre.

28 mai. Le combat se continue du côté du boulevard Richard-Lenoir ; mais tout fait prévoir la fin prochaine de cette lutte fratricide. À 4 heures, les Versaillais sont maîtres de Paris, l’insurrection est vaincue. Enfin nous sommes délivrés de tous ces misérables qui, bien malgré nous, nous gouvernaient si mal. Il y a eu un défilé de 6.000 prisonniers, qui passaient par la rue Lafayette descendant de la Villette, il a duré deux heures. Les insurgés marchaient entre deux rangées de cavalerie, ils étaient sales et paraissaient abattus ; on voyait qu’ils avaient lutté jusqu’à la dernière heure. En tête était les 88e de ligne, ces malheureux avaient la capote retournée et la tête découverte ; ils paieront cher leur faiblesse, car ils sont la cause première de tous nos malheurs, et il n’y aura sans doute pas de grâce pour eux, quoiqu’ils n’aient pas mesuré la grandeur de leur faute, et surtout tout ce quelle pouvait amener de désastres. Si l’on doit être inexorable pour les chefs, on peut agir avec un peu plus d’indulgence pour les simples gardes nationaux, tout en les mettant dans l’impossibilité de refaire du mal.

29 mai. Après de bien mauvais jours, et de terribles émotions, nous voici enfin un peu tranquilles. On n’entend plus le canon ; mais hélas, on sait maintenant toute l’affreuse vérité, et tous les crimes qui ont été commis.

Le 24 mai ont été fusillés :

Mgr d’Arboy, archevêque de Paris ;

l’abbé Deguerry, curé de la Madeleine  [84] ;

l’abbé Allard, ancien missionnaire [85] ;

le R.P. du Coudrai, jésuite ;

M. Bonjean, sénateur [86] ;

Le 26 mai ont été fusillés ;

l’abbé Sabbatier, vicaire à Notre-Dame de Lorette ;

l’abbé Bécourt, curé de Notre-Dame de Bonne nouvelle ;

massacre des Dominicains ;

massacre des frères d’Arcueil ;

massacre de 10 prêtres (cinq d’entre eux (Henri Planchat, Ladislas Radigue, Polycarpe Tuffier, Marcellin Rouchouze et Frézal Tardieu ont été reconnus martyrs et ont été béatifiés le 22 avril 2023 en l’église Saint-Sulpice de Paris).

M. Surat en se sauvant a reçu sur une barricade un boulet qui lui a enlevé la tête. On cite des traits admirables de dévouement, et loin d’anéantir la religion comme le voulaient les communeux, elle sortira de cette épreuve plus belle et plus affermie que jamais.

Le père Guerrin des Missions étrangères occupait la cellule no 22 qui communiquait avec le no 21, où se trouvait un otage laïc, marié, père de famille. Le père Guerrin, qui était vêtu en bourgeois, et avait laissé croître sa barbe durant sa longue captivité, prévoyant que leur tour n’allait pas tarder à arriver, dit à son compagnon : « Vous êtes marié, vous avez une femme et un enfant auxquels vous devez vous conserver s’il est possible ; ce sont des liens aussi par trop douloureux à briser, et votre sacrifice est bien autrement pénible que le nôtre. Pour moi, prêtre missionnaire, le martyre que j’ai été chercher en Chine sans le trouver, eh bien je le trouverai ici ; peu importe que ce soit aujourd’hui plutôt que demain, surtout si je puis le rendre utile et le faire contribuer à vous sauver la vie. Pour cela, lorsque votre nom sera prononcé, laissez-moi répondre à votre place, peut-être qu’en retardant l’heure de votre exécution pourrez-vous y échapper ». Quelle héroïque abnégation, voilà ce que peuvent faire les ministres de cette religion tant calomniée. C’est sans doute à toutes ces innocentes victimes, sacrifiées à la fureur de ce peuple sauvage, à tous ces saints martyrs, que nous devons la paix qui nous semble enfin revenue. Car après toutes les profanations faites dans les églises, devant des crimes aussi horribles que ceux qui ont été commis, n’avions-nous pas justement droit de craindre que la vengeance de Dieu ne tombe sur nous. Si nous savons que c’est le manque de religion, l’orgueil et la paresse qui ont été la cause de tous nos malheurs, que ne devons-nous pas faire pour nous corriger, et voir ainsi le bonheur nous revenir.

Monuments incendiés

Les Tuileries

Le château du Palais-Royal

Le ministère des finances

La Cour des comptes

L’Hôtel de ville

Le Grenier d’abondance.

Théâtres incendiés

Porte Saint-Martin

Lyrique.

[1][1] Toutes les notes sont de Philippe le Tourneau, arrière petit-fils d’Agnès de Lacerda.

Agnès de Lacerda (1850-1934) était la fille de Louis de Lacerda (qui est mort assez jeune, foudroyé, mais dont je ne connais ni l’année de sa naissance ni celle de sa mort) et de Marie Niedermeyer (de Hambourg, décédée en 1851, sans doute en couches à la naissance de sa seconde fille). Louis était lui-même le fils d’Antoine-François de Lacerda (1798-1872) et d’Angélique de Sampaio Vianna (1807-1877) ; Antoine-François, Portugais naturalisé Brésilien, participa au mouvement pour l’indépendance du Brésil (proclamée en 1822), autour de l’Empereur Pierre Ier, et fut un des premiers industriels du Brésil ; sa veuve libéra l’intégralité de ses esclaves par son testament du 23 janvier 1877, celui-ci devant leur servir de « titre d’affranchissement » (comme ses esclaves n’avaient pas de nom de famille, ils prirent celui de Lacerda lors de leur affranchissement ; l’esclavage ne fut officiellement aboli au Brésil qu’en 1888 par l’Empereur Pierre II, ce qui dressa contre lui les riches planteurs ; un soulèvement de l’armée le renversa en 1889). Tous leurs enfants firent leurs études en Europe (France, Angleterre, Suisse ; ils s’écrivaient entre eux plus souvent en français qu’en portugais). Un de leur fils, Antoine (1834-1885), oncle d’Agnès, ingénieur, industriel, créa et fut un des principaux actionnaires de la compagnie des transports de Bahia, constructeur de « l’ascenseur hydraulique de la Conception » de Bahia, appelé depuis ascenseur Lacerda (qui fut considéré à l’époque comme une prouesse technique). Il avait épousé Adèle de Montobio (une Belge) puis, après son veuvage en 1877, Julie Navarro de Cunha Menezes.

Le journal d’Agnès de Lacerda a manifestement été tenu au jour le jour, mais a été recopié à la fin des événements, ce qui explique qu’il comporte des titres (qui sont tous d’Agnès de Lacerda). Le récit est, quant à la guerre, non seulement naïf, très rapide et pas toujours exact, mais aussi forcément de seconde main. Il est plus intéressant pour la partie du siège de Paris et de la Commune, donnant les impressions d’un témoin, jeune fille de 20 ans d’un milieu aisé, avec les préjugés de son temps (sur la vie pendant cette période : Henri d’Améras, La Vie parisienne pendant le siège et pendant la Commune, Albin Michel, 1927. ‒ Sur l’histoire de la période vécue par la narratrice : Alain Frèrejean et Claire L’hoër, Le siège et la Commune de Paris : acteurs et témoins racontent [1870-1871], L’Archipel, 2021).

Orpheline, Agnès de Lacerda vivait avec sa sœur cadette Angélique dans l’hôtel particulier de leurs oncle et tante Édouard Callebaut (1812-1896) et Marie-Joséphine Callebaut (1833-1915), née Marie-Joséphine de Lacerda (fille d’Antoine-François de Lacerda), où l’on menait un grand train, avec une nombreuse domesticité ; Mme Callebaut recevait plusieurs jours par semaine sans invitation pendant la saison (de janvier à juin) toute personne qui avait été « présentée». ‒ L’hôtel fut vendu par Mme Maurice Travers et Mme Marcel le Tourneau après le décès de Mme Callebaut, leur grand-tante). Elle effectua avec eux de nombreux voyages (jusqu’à son mariage en 1874 avec Antoine Grouvelle), non seulement en France, mais aussi à l’étranger (1868, Allemagne ; 1869, Brésil avec, à l’aller et au retour, des escales à Lisbonne et à Dakar ; 1871, Angleterre, Belgique, Hollande ; 1872-1873, Brésil ; 1873, Suisse). Après son abdication en 1889, l’Empereur Pierre II du Brésil s’exila à Paris, où il fréquentait le salon des Callebaut (qui, à l’époque, possédaient un hôtel particulier rue de la Boétie, presque à l’angle des Champs-Élysées) ; Pierre II mourut à Paris en 1891.

[2] Ce n’est pas le Roi de Prusse qui voulut placer un membre éloigné de sa famille sur le trône d’Espagne, mais le Gouvernement espagnol qui le souhaitait. Il s’agissait de Léopold de Hohenzollern-Sigmaringen.

[3] Devant l’opposition de la France, le prince renonça.

[4] L’Empereur Napoléon III était pacifiste et ne voulait pas la guerre ; il en allait de même de la majorité de ses ministres. Mais l’Impératrice, le Parlement, la Presse, le peuple poussaient à la guerre. De son côté, le Roi de Prusse (futur Empereur Guillaume Ier d’Allemagne) ne souhaitait pas la guerre, mais celle-ci était ardemment désirée tant par l’armée que par les ministres, en premier chef par Bismarck. Celui-ci créa volontairement un grave incident diplomatique par la dépêche d’Ems ; devant la provocation qu’elle constituait, l’Empereur Napoléon III, malade, soumis à des pressions aussi vives qu’incessantes, se laissa entraîner à déclarer la guerre le 16 juillet.

[5] Edme, comte de Mac Mahon, duc de Magenta (1808-1898), maréchal de France (1859) ; il fut le premier Président de la IIIe République (de 1873 à 1879). Voyez sur ce personnage, G. de Broglie, Mac Mahon, Perrin, 2000.

[6] Dans le Bas-Rhin. La division de cuirassiers du général Bonnemain fut anéantie par les canons adverses lors de charges héroïques (Charles-Frédéric de Bonnemain, 1814-1879).

[7] François Bazaine (1811-1888), maréchal de France (1864).

[8] Dans la Moselle.

[9] Le château des Tuileries, résidence impériale, qui sera incendié sous la Commune, et stupidement détruit par la IIIe République.

[10] Elle quitta les Tuileries accompagnée seulement de sa lectrice, Mme Lebreton, et se réfugia chez son dentiste Américain, Thomas Evans, qui organisa sa fuite et l’accompagna en Angleterre.

[11] Il faut entendre : élu

[12] Jules Favre (1809-1880), avocat célèbre et parlementaire. Il ne fut pas président, mais ministre des Affaires étrangères du Gouvernement de la Défense nationale. Le président fut Trochu.

[13] Louis Trochu (1815-1896), général puis homme politique. Il fut nommé président du Gouvernement de la Défense nationale, et chargé d’assurer la défense de Paris. Il avait été nommé gouverneur de Paris le 17 août 1870 par la Régente, l’Impératrice Eugénie, à laquelle il réitéra son soutien indéfectible à l’Empire le 4 septembre au matin !

[14] Des gardes mobiles.

[15] Dans la galerie des batailles créée par le Roi Louis-Philippe.

[16] Il faut entendre ce mot, ici et dans la suite du texte, au sens de local hospitalier temporaire pour soigner les militaires blessés; on dirait aujourd’hui hôpital mobile.

[17] Jean-Jacques Ulrich, 1802-1886.

[18] Bazaine fut condamné à mort en 1873 pour trahison par le Conseil de guerre. Sa peine fut ensuite commuée en 20 ans de prison, mais il s’évada et s’enfuit en Espagne où il mourut en 1888.

[19] Batterie (tambours) ou sonnerie (trompettes) militaires appelant au rassemblement des troupes.

[20] Gustave Flourens (1838-1871), professeur.

[21] Dans le 9e arrondissement.

[22] Pour acheminer l’eau par des seaux, transmis de main en mains, d’une fontaine jusqu’au lieu du sinistre.

[24] Les lampadaires étaient alors au gaz.

[25] Heure solaire, seule utilisée à l’époque, soit 18 h., à l’heure d’hiver actuelle.

[26] Mais elle ne fait pas elle-même la queue : ce sont les domestiques de sa tante !

[27] Alexandre Ducrot (1817-1882), général puis homme politique.

[28] Louis d’Aurelle de Paladines (1807-1877), général puis homme politique.

[29] À Patay, où les armées anglaises avaient été défaites par Jeanne d’Arc le 18 juin 1429.

[30] Athanase, baron de Charrette de La Contrie (1832-1911). Il forma le corps-franc des zouaves pontificaux, dont il fut le lieutenant colonel. Il fut nommé général par le Gouvernement de la Défense nationale et, en 1876, comte romain par le Pape. Il était le petit-neveu du célèbre François-Athanase de Charrette (1763-1796), l’un des chefs les plus populaires de l’armée vendéenne pendant la Révolution.

[31] C’est inexact. Il fut blessé à Patay, mais survécut.

[32] Charles Bourbaki (1816-1897), général, commandant de la Garde impériale au début de la guerre franco-prussienne, il remporta la victoire de Villersexel (1871).

[33] Antoine Chanzy (1823-1883), général puis homme politique.

[34] Ville dans le canton de la Meuse, fortifiée par Vauban.

[35] Clément Thomas (1809-1871). Ce n’était pas un militaire mais un homme politique.

[36] Richard Wallace, 1818-1890.

[37] Dans la commune de Neuilly-Plaisance (Seine-Saint-Denis).

[38] Henri, marquis de Rochefort-Luçay (1831-1913).

[39] Près de Saint-Cloud.

[40] Commune de Rueil-Malmaison (Hauts de Seine).

[41] Ce n’est pas le peintre Jean-Baptiste, baron Regnault (1754-1829), élève de Vien, dont le nom est resté.

[42] Plus exactement du Gouvernement de la Défense nationale.

[43] Joseph Vinoy (1800-1880), général.

[44] Louis Delescluze (1809-1871), journaliste et homme politique.

[45] À Vendôme (Loir-et-Cher).

[46] Louis Faidherbe (1828-1889), général et colonisateur. Voyez sur lui, A. Coursier, Faidherbe, préface de P. Pierrard, Tallandier, 1989.

[47] À Saint-Quentin, le 21 janvier.

[48] Pour faire élire !

[49] Jean Saisset, 1810-1879.

[50] Dont Chanzy, Faidherbe, Gambetta. La place de Bitche (Moselle), inviolée, ne fut remise aux Allemands que le 27 mars, après une résistance de 230 jours.

[51] Philippe, comte de Paris, 1838-1894.

[52] Il tenta de se suicider après sa défaite à la bataille de la Lisaine (15-17 janv.), près de Héricourt (Haute-Savoie), mais il survécut.

[53] Pour élire les députés. Cette élection était une exigence de Bismarck, figurant à l’article 1er de l’armistice.

[54] L’Assemblée élue le 8 février se réunit à Bordeaux le 12 février ; elle désigna un Gouvernement provisoire, puis le 17 février Adolphe Thiers chef du pouvoir exécutif. Le 10 mars l’Assemblée fut transférée à Versailles.

[55] La magnifique et énorme château royal et impérial a été incendié le 13 octobre 1870. La ville fut elle-même incendiée en janvier 1871.

[56] 88ème régiment d’infanterie de ligne (de ligne, car ses fantassins étaient appelés à combattre en ligne).

[57] Les fédérés désignent les gardes nationaux ralliés à la Commune. Le mot avait déjà servi dans le passé, d’abord à propos des représentants de la Garde nationale envoyés à la Fête de la Fédération (14 juillet 1790, au Champs-de-Mars), puis pour les volontaires de la Garde nationale pendant les Cent jours (de l’arrivée de Napoléon aux Tuileries le 20 mars 1815, après son évasion de l’île d’Elbe, à sa seconde abdication, signée dans le salon gris de l’Élysée le 22 juin 1815).

[58] Claude Lecomte, 1817-1871.

[59] En civil.

[61] Le nom est difficilement lisible ; il semble que ce soit Ranpont.

[62] Les troupes du Gouvernement provisoire, siégeant à Versailles.

[63] Jules Bergeret (1839-1905) ; il n’était pas général de carrière mais ouvrier typographe. Après la défaite de la Commune il s’exila à Jersey, puis à New-York où il resta jusqu’à sa mort.

[64] Émile-Victor Duval (1841-1871) ; il n’était pas général de carrière mais un ouvrier fondeur.

[65] Flourens fut tué le 3 avril par le gendarme Desmarets, tandis que Duval, prisonnier, fut fusillé le 4 avril sur l’ordre de Vinoy.

[66] Georges Darboy, 1813-1871.

[67] 21 heures.

[68] Iaroslav Dombrovski (1838-1871), polonais qui, après son évasion des camps de Sibérie en 1865, s’était installé à Paris.

[69] Église dans le 9e arrondissement.

[70] Prison parisienne, qui a été détruite depuis.

[71] Communeux est un néologisme qui n’a pas été retenu par la postérité ; aucun dictionnaire ne le recense, pas même le Trésor de la langue française : en revanche, ils retiennent le mot de communard, qui n’est jamais employé par Agnès de Lacerda.

[72] Devenu Bécon-les-Bruyères, dans la commune de Courbevoie.

[73] Il n’a pas de dôme ; il faut entendre le sommet.

[74] Gustave Cluseret (1823-1900), officier puis homme politique.

[75] Louis Rossel (1844-1871), officier.

[76] À Francfort, par le Gouvernement provisoire avec les Allemands.

[77] Parmi lesquels le peintre Courbet (1819-1877). Après la chute de la Commune, il fut condamné à six mois de prison, et à contribuer financièrement à la restauration de la colonne Vendôme, ce qui le ruina. Il mourut en exil en Suisse.

[78] 15 heures.

[79] Des soldats de l’armée du Gouvernement provisoire.

[80] Les fantassins des régiments de l’infanterie de l’armée du Gouvernement provisoire (de ligne, car appelés à combattre en ligne).

[81] Les fantassins des régiments de l’infanterie de l’armée du Gouvernement provisoire.

[82] 14 heures.

[83] D’où elles furent appelées les pétroleuses.

[84] Jean-Gaspard de Guerry, 1796-1871.

[85] Michel Allard, 1816-1871.

[86] Louis-Bertrand Bonjean (1804-1871), magistrat et homme politique ; sénateur en 1862.